Epitre aux Chrétiens du Québec



1 Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'avais reçu quantité d'opinions fausses pour véritables; et donc, que ce que j'avais progressivement bâti dessus, et ainsi élevé sur des principes aussi mal assurés, ne pouvait être considéré que comme fort douteux et très incertain;

2 et dès lors, j'ai bien compris qu'il me fallait, au moins une fois dans ma vie, entreprendre de me défaire sérieusement de toutes ces opinions que j'avais reçu préalablement en ma créance, et reconstruire toutes choses nouvelles, en commençant par les fondements, si je voulais établir enfin quelque chose de ferme, de constant, et de solide dans les sciences et les religions.

3 Or, c'est vrai, j'ai facilement remarqué que, si certains hommes étaient souvent imprégnés d'une grande crédulité, étant prêts à accepter tout et n'importe quoi - comme par exemple ces sortes de vérités où l'on m'assurait que transplanter du persil portait malheur; ou que plonger son corps dans l'eau quatre heures après avoir mangé pouvait faire mourir;

4 ou encore que le chef spirituel de l'Eglise Catholique était l'infaillible représentant du Dieu de toute la terre; et qu'en conséquence, c'était fort justement qu'il ne fallait pas hésiter à l'appeler "Saint-Père", qui est aussi le Très Saint Nom du Dieu Vivant -

5 d'autres hommes, au contraire, proposaient de se refugier dans un scepticisme complet qui n'était pas davantage satisfaisant; tant il est clair qu'il n'est pas utile, ni juste, ni rentable, de douter de tout; puisqu'il existe en ce monde des vérités fort évidentes et facilement découvrables.

6 Et en effet, examinant une à une plusieurs des choses qui composent notre monde, je remarque qu'il se trouve toujours en elles assez de certitudes claires et obvies à établir, desquelles il me sera impossible de douter, et sur lesquelles je pourrai correctement bâtir, comme par exemple dans ces démonstrations dont traitent, en général, les sciences mathématiques ou géométriques;

7 et ainsi, il ne semblera pas que certaines vérités très apparentes puissent être soupçonnées de fausseté ou d'incertitude, car je ne puis douter que sept joints à deux font neuf; ni que, si à des valeurs égales, on retranche des quantités égales, les restes seront égaux;

8 de même que je ne puis sérieusement douter qu'en géométrie plane, un carré aura toujours quatre côtés; que la somme des trois angles du triangle sera toujours égale à deux droits; et que, dans le cas du triangle rectangle, le carré de l'hypothènuse sera toujours égal à la somme des carrés des deux autres cotés;

9 et enfin, examinant les choses de façon plus introspective, je ne puis davantage douter que je suis un esprit qui pense, qui sait, qui conçoit, qui doute, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine et qui ressent.

10 Ainsi existe-t-il, je le reconnais, dans le monde et en moi-même toutes sortes d'idées; de la réalité et de la vérité desquelles je n'ai heureusement pas besoin de douter; idées que je vais maintenant séparer en deux notions simples et distinctes selon leur origine; c'est à dire selon qu'elles me viennent du dehors ou selon qu'elles me viennent du dedans.

11 Si elles me viennent du dehors, elles me parviennent par les sens, et je les appelle des sensations; si elles me viennent du dedans, elles naissent de la réflexion propre de mon esprit, et je les appelle des pensées;

12 et, par là, je peux conclure qu'il ne peut y avoir dans mon esprit, c'est à dire dans mon âme, mon Moi, mon être-même, que deux sortes d'idées: les sensations et les pensées;

13 et non seulement ceci, mais aussi que ces deux sortes d'idées qui peuvent se trouver en moi, ne peuvent avoir aucune existence en dehors de ce moi, qui les perçoit ou les imagine, puisqu'une pensée non consciente, ou qu'une perception non perçue, est une contradiction...

14 Or, que toutes les pensées qui sont les miennes viennent de l'intérieur de mon esprit, c'est, je pense, ce que tout le monde accordera, et leur origine ne semble pas douteuse.

15 C'est ainsi que, par exemple, si je rêve ou si je m'imagine épouser cette jolie princesse, visualisant un grand festin avec tels menus, telles tables, en tel endroit et à tel moment, je dois bien admettre que toutes ces choses, qui prennent progressivement place en mon esprit, ne sont que purement spirituelles,

16 sous peine de considérer que ce n'est pas réellement moi qui les pense, chose étrange, mais le phosphore qui les pense en moi, opinion qu'enseignent certains matérialistes, et qu'ils sont fiers d'enseigner, sans réellement prendre garde au fait qu'il n'est pas tout à fait clair que la matière puisse penser; ni sans réellement s'apercevoir que ce n'est pas chose aisée d'expliquer comment un épiphénomène va se rendre subitement compte qu'il est un épiphénomène.

17 Cependant, s'il ne parait aucunement douteux que ces pensées proviennent de moi-même, sinon ce ne seraient plus mes pensées, mais celles d'autrui, il n'en est pas ainsi de toutes ces sensations diverses et variées que je perçois à longueur de journée, et dont nous avons dit qu'elles venaient de l'extérieur, le plus souvent sans que nous n'y puissions rien faire;

18 car il ne m'est pas donné de ne pas sentir ce parfum de rose si j'approche le nez de cette fleur, ni d'occulter ce coucher de soleil si j'ouvre les yeux pour le regarder; pas plus que je ne puis nier la forte amertume de ce produit pharmaceutique si la moindre goutte vient à s'en trouver dans ma bouche.

19 Tout ceci nous conduit immanquablement à la grande question, que nous sentions venir, et qui est précisèment la pierre angulaire de cette épitre: "Quel est donc, en son Etre, cet Etre qui produit ces choses pour moi, soit en moi, soit au dehors de moi, qui n'est pas moi, et qui possède évidemment en Lui toutes les caractéristiques propres pour les engendrer en mon être, ou pour mon être, et me les faire connaître?"

20 Car je vois bien que tout ceci doit être produit par un Etre, soit Dieu, ou soit l'univers de la matière, qui possède en Lui toutes les qualités nécessaires et créatives de l'Etre, sinon cela sortirait du néant, et nous savons très clairement que si l'Etre est, le néant n'est pas, et qu'un pur néant ne saurait engendrer aucune chose.

21 Maintenant, nous avons beau tourner le problème de l'Etre en tous sens, il reste évident que toutes ces sensations que je perçois, je ne puis - à l'opposé de Descartes dont j'ai depuis longtemps signalé les biais conceptuels, comme par exemple lorsqu'il parle d'un Dieu trompeur engendrant de "fausses illusions" en place de parler d'un verbe Divin engendrant de "vraies réalités spirituelles" - être absolument certain qu'elles proviennent de ce quelque chose que les hommes appellent "substance matérielle",

22 car il est fort possible, et je dirais même incontournable au cas où il existerait certainement un Dieu capable de les produire directement en moi, que toutes ces choses ne soient rien du tout hors de moi; sorties de la sensation que j'en ai, et "en elles mêmes"; et, en ce sens: de la notion de Dieu à la notion de substance matérielle; tout est faux dans Descartes.

23 Petits-enfants, c'est ici que je vous demande le maximum de lucidité, et de bien réfléchir à cet Etre qui est "l'Etre-de-derrière-ce-paraître", puissante "cause-en-soi" cachée sous le monde des phénomènes observables,

24 et sorte d'entité inconnue continuellement enfouie derrière la sensation que nous avons des choses; primum movens que les matérialistes appellent "substance matérielle", ou "noumène", et dont les phénoménologistes et les idéalistes nous disent qu'il est l'Etre lui-même.

25 C'est en se cristallisant sur cette dernière position que la pensée moderne a réalisé un progrès considérable en réduisant l'existant à la série des apparitions qui le manifestent.

26 Ainsi, lorsque l'être phénoménal se manifeste, par exemple cette framboise, il manifeste son essence aussi bien que son existence; et il n'est rien d'autre que la série bien liée des sensations qui caractérisent, pour moi, sa manifestation.

27 L'être d'un existant, c'est présisément son paraître; et rien de plus. L'être n'a pas de face cachée; il est pleine positivité; et quand il se donne, il se donne tel qu'il est, absolument indicatif de lui-même.

28 Ainsi, l'être réel de cette framboise, c'est précisement cette moellosité qu'elle paraît être, cette couleur rouge sombre, ce parfum caractéristique, cette forme ronde et polylobée. Elle se dévoile telle qu'elle est à mon entendement, et elle n'a pas d'envers secret. Pour elle, tout est acte.

29 Or, si l'être du phénomène n'est rien que son paraître, alors il faut bien admettre qu'il est besoin d'un Etre qui, en son Etre, soit capable de garder tous les trésors de la connaissance et de m'en faire partager les richesses dans une pièce créative infiniment ingénieuse;

30 et cet Etre, c'est précisement le Dieu que nous vous annonçons, et qui n'est autre que tout ce que nos yeux ont vu; tout ce que nos oreilles ont entendu, tout ce que nos mains ont touché; Etre que nous nommons Discours, Logos et Parole, et dont il est dit qu'Il soutient toutes choses par la puissance de Son Verbe.

31 C'est pourquoi il est écrit:
"C'est Moi, l'Eternel, Qui peuple les vallées de troupeaux;
J'engendre le vent, et Je souffle la pluie."
et encore:
"Fendez une bûche, Je suis là; soulevez cette pierre, vous M'y trouverez";

32 et aussi:
"Si l'Eternel retenait Son Souffle, tout entrerait instantanément dans le néant."

33 Et encore:
"Dieu est Esprit, et c'est en tant qu'Esprit qu'il faut Le glorifier.
Vraiment, le Père Céleste recherche de tels adorateurs."

34 Petits-enfants, c'est précisement par cette foi, car il s'agit ici d'une affaire de foi, que vous pouvez être rendus aptes à comprendre que les systèmes de choses qui composent le monde visible sont régulièrement agencés et mis en place par un Discours de Dieu, en sorte que tout ce dont nous faisons progressivement l'expérience ne procède d'aucune qualité intrinsèque.

35 Ainsi, notre Dieu, béni soit Son Saint Nom, et louée Sa Gloire Eternelle, doit se concevoir non plus selon l'image d'un potier façonnant un vase d'argile, vase qu'il laisserait indéfiniment exister et subsister par lui-même, mais plutôt selon celle d'un musicien interprétant une mélodie continuellement produite, mélodie qui n'aura plus aucune existence, sinon dans les souvenirs que nous garderons d'elle, dès que la dernière note en aura été donnée.

36 Maintenant, et pour terminer sur ce point, il nous reste à montrer que les Saintes Ecritures Elles-mêmes définissent l'homme et sa compagne comme deux êtres entièrement spirituels, engendrés de Dieu et créés à Son image et à Sa ressemblance; en tant que partenaires nécessaires et intelligents de la Création, fils et héritiers du Père Céleste selon un état où le madrier conceptuel de la chair ne sert strictement à rien;

37 car nous voyons fort bien qu'il est écrit, et précisé par une double répétition des mots, comme s'il y avait là quelque chose de difficile à comprendre ou à admettre:
"Dieu les créa à Son image,
A Son image, Il les créa...
Homme et femme, Il les créa."

38 Petits-enfants, voici donc le Dieu sur Lequel vous pouvez sans crainte reposer votre foi; Dieu bien loin du Dieu matérialiste et simplement auteur des vérités matérielles dont parle Descartes; sorte de sculpteur lointain qui aurait donné, pour le lancer, une chiquenaude au monde, et dont nous aurions ensuite fort bien pu nous passer.

39 Au commencement était le Verbe, et le Verbe s'est fait monde, et c'est Sa gloire que nous contemplons et que nous touchons continuellement, en tant qu'oeuvre de grande beauté, Perle Unique cosubstantielle au Père, et Fils Unique en Lequel nous sommes et avons notre être.

40 Or, c'est par amour que Dieu a manifesté ce monde par la puissance de son Verbe, afin que nous vivions en Lui et par Lui, et que nous puissions y subsister éternellement pour peu que nous L'aimions.

41 Et voici justement en quoi nous pouvons différencier celui qui aime Dieu de celui qui ne L'aime pas: Celui qui aime Dieu aime toute la création de Dieu; mais celui qui n'aime pas la création de Dieu, celui-là n'aime pas non plus le Dieu qui l'a engendrée.

42 Et c'est là la raison de la manifestation des fils du diable, à savoir massacrer et empoisonner toute la Création de Dieu, parce qu'ils ne l'aiment pas, et qu'ils ne la supportent absolument pas.

43 Vraiment, celui qui aime Dieu aime toute la création de Dieu en tant que Perle Unique issue du Père; et celui-là, Dieu l'aime, et Il lui a donné le droit d'être appelé "enfant de Dieu".

44 C'est aussi pourquoi nous n'avons plus à vivre dans la crainte, car si nous savons que Dieu nous aime, nous savons aussi que Son amour est parfait, et que l'amour parfait abolit toute crainte; et, selon Sa Sainte promesse, la conclusion de cet amour parfait, c'est l'eau gratuite de la Vie éternelle.

45 Petits enfants du Québec, que cette espérance soit fermement ancrée en vos coeurs;
que la grâce du Dieu Très Haut vous bénisse en abondance.

46 Viens, Dieu de Jésus-Christ ! Oui, viens vite !


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